Cruel

J’ai toujours pensé que nous vivions dans un monde profondément cruel. Dès mon plus jeune âge, je m’étais promise de ne pas faire d’enfants, de ne pas mettre au monde de nouvelles victimes dans un univers aussi impitoyable. À l’école, on nous enseignait l’histoire de l’humanité, et tout ce que j’en retenais, c’était un long récit de guerres successives. Partout, il semblait que l’humanité n’était capable que de détruire, de se battre pour le pouvoir, pour des idéaux, pour des ressources. Pendant longtemps, cela m’a révoltée, et j’ai nourri cette conviction que je ne voulais pas ajouter d’innocents à ce cycle infernal.

Et pourtant… il y a eu des moments où cette vision sombre s’est effacée. Parfois, je me suis laissée bercer par un espoir fragile. Il m’est arrivé de croire, l’espace de quelques instants, que l’humanité avait peut-être dépassé ces âges de sang et de feu, qu’elle avait progressé vers quelque chose de plus grand, de plus pacifique. Durant de brèves périodes, j’ai ressenti une forme de sérénité et j’ai commencé à entrevoir un avenir plus lumineux. Je me suis dit que les conflits n’étaient plus ce qu’ils avaient été, qu’on parlait désormais de guerres technologiques, de cyber-guerres, des luttes menées dans l’ombre, derrière des écrans… mais moins sanglantes.

C’est alors que j’ai fait des enfants, avec l’espoir qu’ils grandiraient dans un monde différent. Et aujourd’hui, je suis assaillie par le doute et le regret. Je les aime d’un amour infini, mais je ne peux m’empêcher de penser que je les ai peut-être condamnés à affronter un monde qui n’a rien de tendre à leur offrir. Un monde où la cruauté change de visage, mais demeure omniprésente.

J’ai peur pour eux, peur qu’ils aient à affronter des forces bien plus insidieuses et destructrices que tout ce que j’avais imaginé. J’ai peur qu’ils n’aient d’autre choix que de devenir des victimes, malgré leur innocence, malgré tout l’amour et la protection que je veux leur offrir. C’est le plus grand des regrets : les avoir fait naître dans un monde où la violence, même sous d’autres formes, est encore si présente.

M.G